Verden Fell vit seul dans une vaste abbaye en ruines depuis la mort de sa femme Ligeia. Mais, il rencontre un jour la jeune Rowena, dont il s'éprend, et il l'épouse peu de temps après. Pourtant, il est toujours obsédé par sa femme décédée...
La tombe de Ligeia est le huitième et dernier film réalisé par Roger Cormand'après les écrits d'Edgar Poe pour la firme AIP. Les précédents étaient : Lachute de la maison Usher (1960), La chambre des tortures (1961), L'enterrévivant (1962), L'empire de la terreur (1962), Le corbeau (1963), Lamalédiction d'Arkham (1963) (affilié au cycle Poe, ce film se base avant tout surle roman L'affaire Charles Dexter Ward de Lovecraft) et Le masque de la mortrouge (1964). Ce dernier, contrairement aux oeuvres antérieures, avait été filméen Grande-Bretagne, où les coûts de tournage étaient inférieurs à ceux pratiqués auxUSA. Il fonctionne encore assez bien auprès du public, même si ses résultatssont légèrement en recul par rapport aux volets précédents de la série. Cormancommence à avouer une certaine lassitude par rapport à ce cycle. On remet néanmoins lecouvert pour un nouveau film avec La tombe de Ligeia. Comme pour tous lesPoe-Corman (à l'exception de L'enterré vivant), Vincent Price tient le rôleprincipal, alors même que Robert Towne (qui rédige l'adaptation de la nouvelle Ligeia)le juge trop âgé. Toutefois, l'image de marque de cette saga est tellement associée àson acteur-vedette que l'AIP préfère ne pas prendre le risque de le remplacer par unautre comédien. Bien que les autres oeuvres aient été tous presque entièrement tournéesen studio, Corman décide de filmer de nombreuses séquences dans des extérieursnaturels. Il faut dire que la campagne anglaise se prêtait autrement mieux au tournaged'un film d'épouvante gothique que les paysages californiens qui entourent Hollywood. Ilemploie pour l'occasion Arthur Grant , qui était alors le chef-opérateur attitré de lafirme Hammer, spécialiste de l'horreur gothique : il dirigea ainsi la photographie de Lanuit du loup-garou (1961) de Terence Fisher, L'invasion des morts-vivants(1966) de John Gilling, Dracula et les femmes (1968) de Freddie Francis...Ledouble-rôle de Ligeia et Rowena est tenu par Elizabeth Shepherd (qui faillit interpréterMrs. Peel dans la série Chapeau melon et bottes de cuir à la place de DianaRigg ; on l'a aussi vu dans Damien, la malédiction II (1977)...).
Toutefois, il faut reconnaître que La tombe de Ligeia est tout de même trèsfidèle à sa source littéraire, tout du moins au cours de sa première moitié. Certes,le film développe nettement le personnage de Rowena, à peine esquissé chez Poe, etinsiste longuement sur la romance qu'elle partage avec Verden. Cette histoire d'amour estremarquablement insérée dans le récit, notamment grâce à l'interprétation de Price(égal à lui-même en héros Poe-ien, à la fois raffiné, macabre, hypersensible etmaladif) et d'Elizabeth Shepherd. Cette dernière parvient à donner beaucoup de finesseet d'intelligence à son personnage, alors que les femmes sont en général assezdélaissées dans le cycle des Poe-Corman, où la présence écrasante de Vincent Priceest mise très en avant aux dépends des ses partenaires du beau sexe. Quiplus est, tout le début du métrage est admirablement servi par de superbes scènestournées dans de vastes extérieurs, notamment au milieu des ruines monumentales d'uneabbaye du XVIème siècle. Les séquences de chasse à cours et leurs cavalcades sontelles-aussi de toute beauté, et nous changent agréablement des décors de studios quifinissaient par devenir un peu répétitifs dans cette série. La photographie,essentiellement tournée vers des tons assez sobres (gris, noirs, bruns, pourpre...)semble aussi prendre le contre-pied des films précédents, en refusant de jouer sur lesteintes vives et acidulées qui caractérisaient des oeuvres comme La chute de lamaison Usher et Le masque de la mort rouge. Cela ajoute une touche definesse et de réalisme plutôt bienvenue.
Pourtant, après une bonne première moitié maîtrisée et plutôt raffinée, Cormanrenoue avec certains défauts caractéristiques de son travail. Ainsi, l'intrigueoriginale est compliquée par une histoire d'hypnotisme qui semble un peu inutile. Onretrouve une scène onirique plutôt gratuite (comme dans La chute de la maison Usherou Le masque de la mort rouge), au cours de laquelle Corman se laisse à desprocédés trop faciles pour convaincre : musique étrange, filtres, cadrages"bizarres", ralentis... Si la présence du chat noir se tient dans le cadre dece récit mettant en jeu le thème de la réincarnation, elle donne tout de même lieu àdes scènes de terreur assez balourdes, employant à tour de bras des procédés aussiéventés que les apparitions soudaines d'un félin bondissant.
Le dénouement revient enfin plus nettement vers le contenu de la nouvelle. Corman et sepermet d'y porter une touche nécrophile très appuyée. Toutefois, cela reste assezconfus, et sent un peu le déjà-vu par apport aux autres films de la série. Ainsi, on aencore le droit à l'incendie classique de la demeure, avec toujours les mêmes plansd'effondrement de charpente filmés par Corman à l'époque de La chute de la maisonUsher et qu'il réutilisa maintes fois ensuite (L'empire de la terreur, Lamalédiction d'Arkham...).
Globalement, La tombe de Ligeia n'est pas vraiment un échec. Pourtant, onconstate que, malgré un début prometteur, Corman y montre une certaine incapacité à serenouveler dans un genre qu'il avait déjà beaucoup arpenté dans les annéesprécédentes. Ce sera la dernière adaptation de Poe qu'il réalisera, bien qu'il aitenvisagé un moment de tourner encore une transposition de Le scarabée d'or. Ils'intéressera par la suite à d'autres genres, comme les films sur la drogue ou lesmotards (Les anges sauvages (1966), The trip (1967)...), ou sur lesgangsters (Bloody mama (1970)...). Avec Le baron rouge (1971), film deguerre tourné en partenariat avec United Artists, Corman dispose enfin d'un gros budget,mais il est très déçu par le manque de liberté qu'implique le travail avec une grandecompagnie. Il renonce dès lors à la réalisation pour devenir le producteur de trèsnombreuses oeuvres à petits budgets au sein des es compagnies New World Pictures,Concorde Pictures... Il reviendra, le temps d'un film, à la réalisation avec Larésurrection de Frankenstein (1990), interprété par John Hurt, qui mélangescience-fiction et horreur gothique ; mais cela restera sans lendemain.
Vincent Price continuera une brillante carrière, notamment chez AIP. On le rencontre dansCity under the sea (1965), film d'aventures réalisé par jacques Tourneur (Laféline (1942)...) d'après Poe ; Le grand inquisiteur (1968) de MichaelReeves ; L'abominable dr. Phibes (1970) de Robert Fuest ; Théâtre de sang (1972)avec Diana Rigg... Autant de titres qui mettent en valeur le jeu démesuré (et parfoisironique) de cette star de l'horreur. Toutefois, la nouvelle vague de films fantastiquesdes années 1970 (L'exorciste (1973) de Friedkin, Les dents de la mer(1975) de Spielberg...), ancrés dans leur réalité contemporaine, n'a guèred'emploi à proposer à cette star de l'épouvante gothique, si bien qu'ilapparaîtra de moins au moins au cinéma. On le retrouvera une nouvelle fois dans Edwardaux mains d'argent (1990) de Tim Burton, qui tire ainsi un coup de chapeau au hérosde son enfance. Vincent Price est mort en 1993.
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